Arrivée, départ : les étapes du parking souterrain
Arrivée. Le parking n’est pas là depuis très longtemps et les riverains ne semblent pas comprendre pourquoi les voitures cherchent à tourner à cet endroit. Il faut redoubler de précaution. À droite, à gauche, encore une fois, je m’engage, en première tout en actionnant la commande de la descente de la vitre. Impossible d’échapper à l’odeur d’huiles essentielles, qui ferait presque préférer le rance des parkings d’antan, voire l’urine. Je débraye, freine. Comme sur l’autoroute, il s’agit en premier lieu de s’approcher suffisamment de la borne pour pouvoir appuyer sur le bouton sans avoir à défaire sa ceinture ou, pire encore, ouvrir la porte. Sans endommager la carrosserie. Ni trop près ni trop loin. À l’arrêt, je laisse la vitesse engagée. Première pression : rien. Deuxième pression, le ticket sort. Je l’attrape de la main gauche tout en embrayant. La barrière se lève. Premier virage, limite, même si la voiture n’est pas bien grosse. En avançant, je tâche de repérer à travers la rangée de gauche, réservée aux véhicules électriques et à leurs recharges, les spots verts et rouges qui indiquent s’il y a des places qui pourraient me convenir de l’autre côté, non loin de la porte de sortie pour les piétons. Quelques verts, mais tous allumés entre une voiture et un pilier de béton. Sans moi. Avant même le dernier virage, ma décision est prise. Un emplacement un peu loin, bien plus praticable. Je me gare en douceur, en marche avant, glissant au ras du poteau. En récupérant la clef de contact, je réalise que le ticket est dans ma bouche, attendant que je le glisse dans la poche de gauche de mon manteau, rituel efficace qui évite les paniques au retour. J’ouvre la portière et bloque ma respiration. Quelques pas, et je dirige la clef dans mon dos en appuyant sur le bouton qui permet de fermer la voiture à distance. Je jette un œil furieux au dispositif improbable qui diffuse en fumée blanche le parfum doucereux responsable de l’atmosphère aseptisée et agressive du site. Pas question de respirer. Je tire la porte d’un grand geste, attends qu’elle se referme pour souffler.
Départ. Apnée, à nouveau. Je retrouve rapidement l’habitacle et démarre. La mise en route de la marche arrière déclenche la caméra de recul. C’est l’âge, sans doute : je ne m’y fais pas, refuse de m’y plier. J’appuie vite sur le bouton qui offre, charitable, la possibilité de désactiver l’ensemble — écran et alertes oppressantes à chaque proximité jugée trop grande par la machine. Ça ne rate pas, aux premiers centimètres parcourus avec précaution, les bips en pointillés résonnent malgré tout. Je re-désactive en jurant. De retour dans l’allée, je négocie le dernier tournant à angle droit. Toujours cette impression que les ailes de ma voiture pourraient finir par payer les prétentions d’ingénieurs bas de gamme qui dessinent le monde à partir de paramètres dont ils n’ont jamais mis à l’épreuve la pertinence. On voit d’ailleurs les traces d’une barrière qui a été enlevée à peine quelques semaines après l’ouverture des lieux. Dysfonctionnelle dès la conception. Tandis que je m’approche de la borne de sortie, je récupère le ticket dans ma poche. J’ouvre la fenêtre et attends quelques secondes devant l’écran. Se glisse à cette dernière étape une petite incertitude. Presque un jeu. Ces derniers temps, il arrive qu’à peine le geste esquissé, une partie du bras encore dans la voiture, l’écran affiche un « vous pouvez passer » et la barrière se lève. J’en ai conclu que ma plaque d’immatriculation était lue à l’arrivée, reconnue au départ. Sauf, que ça n’est pas systématique. Il semble en fait que lorsque je ne bouge pas, confiant, la machine s’amuse à rester impassible. C’est le cas ce matin. Je capitule et tends le ticket en présentant le QR code devant la petite vitre qui projette une lumière rouge, témoin de sa capacité de lecture. Dont acte : « Vous pouvez passer », la barrière se lève. Affûté par l’exercice, la voix encore bien présente de Nicolas m’invitant à ne rien rater de cet exercice de chaîne opératoire un peu détourné, je m’oblige à jeter un dernier regard à la borne. Trop tard pour la photo. Sur l’écran, en lettres majuscules, traîne un poli « MERCI ET AU REVOIR » adressé à celles et ceux qui veulent bien le lire.