Capture d'écran - Google map - Aire de Bourg Teyssonge
Vendredi 7 février. De retour de 4 semaines en résidence artistique dans le Loiret, je remonte en voiture vers la Suisse. Me voici à nouveau du côté de Bourg-en Bresse. Ça me fait bizarre. Il y a 15 jours, on t’accompagnait dans la terre.
Je suis persuadée que nous sommes le 8 février. Le compte à rebours de l’exercice d’observation est enclenché. Une air d’autoroute. Je sais que tu aurais apprécié. Comme les œuvres de rond-point, comme tous ces espaces qui laissent perplexes parce qu’ils ont le charme du no man’s land organisé. Parce que le ringard est toujours à un fil de changer de statut.
Je n’ai pas le courage de m’assoir sur un banc, car j’ai besoin de rentrer. Je décide de filmer pour une observation rétroactive.
La vidéo a démarré à 16:20:33 heure de Berne le vendredi 7 février 2025, elle dure 4’11 minutes. Mon téléphone a nommé le lieu « Jasseron ».
- 10 minutes d’épuisement rétroactif -
Une jeep noir, brillante, qui se parque sans couper le moteur, un homme sort pendant qu’une femme reste à l’intérieur. Le moteur fait beaucoup de bruit, dégage une odeur forte. Elle marque son territoire.
Un grand bâtiment arrondi en lattes de bois et vitrages. Enseigne Starbuck. Une première entrée puis un banc qui invite à regarder le côté de l’air d’autoroute. En face une minuscule air de jeu entourée d’une grille, on peut jouer au prisonnier qui fait de la balançoire, des arbres, des espaces de terre non bitumés, des tables de pique-nique, une femme debout au loin qui a installé ses enfants sur l’une d’elles. Derrière les arbres et le parking, au-delà des limites de l’autoroute, un petit avion décolle. Léger sentiment de décalage. Je suis l’avion avec mon téléphone.
Un homme court en direction du bâtiment.
Un autre homme soulève le couvercle d’une poubelle en bois y met quelque chose et repart. Il est suivi par un enfant pré-adolescent.
Je note qu’il y a des poubelles partout. Il y a plus de poubelles sur ces quelques mètres carrés que dans un village entier.
Un chien qui ressemble à Lassie, trotte et renifle un large buisson plat. L’homme qui court est à sa recherche. Le chien urine et s’en va.
Derrière une vitre quelques tables vides et un homme qui se baisse pour ramasser quelque chose avant de s’enfoncer dans le bâtiment.
Un homme à l’extérieur téléphone en faisant des petits tours.
La jeep part.
Je ne vois presque que des hommes, éventuellement des enfants.
Le bâtiment est constellé de portes coulissantes qui libèrent régulièrement un homme.
Des arbres avec un nid en-haut dans les branches.
Un panneau avec une offre de boissons à deux euros.
Une grande sculpture en métal sur une colline de terre. Une oeuvre d’autoroute. Elle est conçue d’un cylindre en forme de bidon entouré d’une grande spirale formée d’une multitude de languettes plates et ondulées collées les unes aux autres et qui tournent autour du cylindre quatre fois. Le tout est attaché par des fines barres symétriques qui ponctuent l’ensemble. La spirale est elle-même attachée à deux fourches opposées comme un étendard à linge et qui semblent déployer des fils pour maintenir le tout. Pas de cartel. La décrire me fatigue.
Une bouche d’égout ou d’arrivée d’eau sur laquelle une personne a laissé des cailloux et des morceaux de bois formant un début de sculpture éphémère et improvisée. Oeuvre d’autoroute II.
Un autre avion décolle. Le soleil est voilé et brièvement je pense au film de Lars von Trier. Une voiture part. Des camions sont parqués au loin. Deux voitures se font face la capot ouvert. On dirait qu’elles se parlent. Un homme passe. Toujours pas de cartel, d’autres bouches, d’autres poubelles, des petites et grandes barrières, un autre homme qui marche plus lentement, il me regarde. Je me demande si c'est un psychopathe. Il finit par être rejoint par ses enfants qui cherchent à jouer avec lui. Une course poursuite commence avec des rires et des cris.