Sans demeure, le cuisinier s’apprête à commencer son travail. Dans un évier en acier inoxydable, il nettoie préalablement les instruments qui lui seront utiles à la préparation.

  • Ce sera un pain en cocotte, il annonce.
  • Comment ça ?, je demande,
  • Et bien, il faut mettre la pâte dans la cocotte, fermer le couvercle et mettre le tout au four. Je suis surprise. Ensuite il s’aperçoit que l’eau a éclaboussé le long du comptoir, il éponge avec un torchon propre. En même temps, le son du téléviseur affichant un match de rugby couvre la pièce de bruits, paroles et musiques variées. Pause pub. Le cuisinier, chantonne les jingles et fini les slogans de publicités télévisées à voix haute, toujours sans regarder l’écran. Il se munit de son portable de type smartphone et cherche la recette qu’il envisage de réaliser. Il est important de savoir qu’il n’a jamais fait du pain auparavant. Il semble perturbé par ma prise des notes.
  • Je peux commencer à faire ma recette ou pas ?, me demande.
  • Oui, bien sûr, je réponds. Il s’approche donc d’un gros tiroir et extrait un verre doseur en plastique qu’il remplit précipitamment d’eau dans le même évier en inox où il a lavé ses ustensiles. Il s’approche d’un gros appareil qu’il nomme « robot de cuisine », et verse l’eau dans une sorte de cuve en acier qui couronne la machine. Il s’agit d’un appareil électronique multifonction, qui promet d’assister l’humain dans la cuisine tout en utilisant le moins de matériel possible. Il se compose d’un gros socle blanc qui contient un moteur nourri à l’électricité et d’un conteneur en acier muni d’hélices accrochées à l’intérieur. Son socle permet de peser les ingrédients et de mobiliser les hélices du conteneur. Il dispose également d’un écran tactile où le cuisinier peut consulter des recettes, voie le poids détecté par l’appareil, son mode d’emploi et sélectionner les fonctions disponibles. Pour commencer, le cuisinier verse l’eau dans le conteneur en acier et le résultat affiché sur l’écran ne semble pas lui convenir :
  • Mais pourquoi 345 gros ? Je suis censé en avoir enlevé. (il s’adresse à l’appareil) Le poids ne correspond pas à ce qu’il espérait. Il vide le contenant à nouveau dans le verre doseur et se dispose à le remettre dans le conteneur en acier, cette fois plus doucement, plus lentement, espérant ainsi que la machine puisse recalculer le poids « correctement ». Une fois satisfait, le cuisinier ajout de la levure de boulanger à l’eau. Il s’attarde sur l’écran, circonspect. Il navigue avec l’index de sa main droite parmi les options proposées par l’appareil :
  • Tiens c’est quoi ça ? C’est « malaxer » ou…. (il s’adresse toujours à l’appareil) D’une voix relativement inaudible, il lit les possibilités affichées sur l’écran et finit par affirmer d’une voix exaltée :
  • Ah ! deux minutes trente-sept ! Il sélectionne l’option « cuisson », durant 2 minutes à 37C°. Il couvre le réceptacle et une petite musique annonce le début du processus. À ce moment même, la Marseillaise sonne de fond depuis le téléviseur, suivie de près de l’hymne national de l’Angleterre. Cela annonce le début de match et à nouveau des pubs… Cinq minutes plus tard, la « cuisson » est finie (l’eau est maintenant tiède et la levure bien mélangée), il ajoute de la farine à travers une ouverture existante au sommet du réceptacle. Il n’est pas d’accord avec le poids affiché dans l’écran de l’appareil. Il a ajouté 75 grammes de farine de trop et il est convaincu d’avoir raté sa recette. Il finit par sélectionner le mode « malaxer », durant deux minutes, « pour une pâte ferme ». Il appuie sur démarrer et part regarder le match durant le temps du malaxage. L’appareil émet un petit son, une courte mélodie, indiquant le début du pétrissage. Après une minute il s’arrête. Le cuisinier revient étonné. Il regarde l’écran.
  • Pourquoi « veille » ? Il appuie à nouveau sur l’option « démarrer », et repart voir le match. Il parle au téléviseur comme s’il était au stade. Il pose des questions, mais n’attend pas que qui que ce soit lui réponde. L’appareil émet une courte mélodie indiquant la fin du cycle de pétrissage. Le cuisinier se précipite vers la machine et ouvre le couvercle. Il semble très déçu par l’aspect de la pâte. Pas du tout homogène, elle ressemble à du sable semi-humide. Il me demande : - ça ne va pas, non ? Je suis d’accord avec lui pour affirmer que cela n’est pas assez mélangé et nous décidons d’ajouter plus d’eau à la mixture. Il réactive le pétrissage pour encore 4 minutes, et repart regarder le match de l’autre côté de la pièce. Cette fois, il revient toutes les minutes pour vérifier que la machine continue à faire son travail. Quant à cette dernière, elle semble s’être embarquée dans un énorme effort. Nous pouvons entendre le moulinage des hélices à l’intérieur et elle tremble tout le long du processus.
    La musique sonne à nouveau, le cuisinier arrive et se montre plus satisfait du résultat de la pâte. Ensuite, il doit verser la mixture, actuellement plus homogène et compacte, dans un gros récipient ressemblant à un saladier pour la laisser reposer pendant une heure et demie. Le cuisinier me demande de l’aide pour verser la mixture dans un saladier en verre. L’hélice du pétrissage étant accrochée au réceptacle de la machine, il est très difficile d’extraire la pâte. Après deux tentatives infructueuses à l’aide d’une spatule en plastique, je trempe mes mains à l’intérieur pour gratter le fond et les parois. Je réalise des mouvements circulaires, grattant du bout des doigts l’intérieur de la cuve en acier. La texture de la pâte est poisseuse et chaude, elle me colle aux doigts. Nous finissons par mettre la texture et nous le recouvrons d’un film plastique. Je pars me laver les mains. J’entends le cuisinier depuis la salle de bain, demander à son smartphone de démarrer un minuteur :
  • Dis Siri, met une heure trente ! Il ne restera que le mettre dans une casserole et le mettre au four…