picture Mosaïque choisie des sols aux alentours de mon immeuble

Contexte

Depuis un mois et demi, j’ai adopté un chiot avec mon compagnon. Il partage à présent le quotidien de notre foyer, et sa venue a bouleversé notre mode de vie. Nous habitons un petit appartement (2 pièces, 35 m2) en banlieue parisienne, à Cachan. Le chien a aujourd’hui 6 mois, nous l’avons adopté alors qu’il avait 4 mois ½. Ses besoins naturels impliquent de nombreuses sorties. En moyenne 3 à 4 par jour : une au réveil et ensuite une toutes les 5 à 8h jusqu'à la dernière avant le coucher, autour de 23h30-minuit. Leurs durées sont variables et évolutives avec l'âge du chien (aujourd’hui, entre 15 minutes - pour une sortie express centrées sur les besoins urgents - et 1h30 pour les balades plus exploratives impliquant parfois des jeux, des rencontres avec d’autres chiens et des séances de dressage). Ces sorties sont indispensables pour son bien-être et son développement. Un chien ne doit pas simplement faire ses besoins. D’autres activités sont nécessaires pour qu’il se sente bien, principalement : se dépenser physiquement, jouer, mastiquer, rencontrer ses congénères, découvrir et sentir des odeurs. La balade canine comme nouveau prisme du quotidien

La note qui suit est en quelque sorte le bilan, ou plutôt un patchwork d’observations, de pensées, de choses entendues, pendant les sorties canines quotidiennes effectuées dans mon quartier.

Point de départ et point d'arrivée des balades : en bas de mon immeuble d’habitation. Le parcours varie d’une promenade à l’autre, selon la motivation du chien, le temps disponible, mon envie ou non de pousser l’excursion vers des zones moins connues, ou encore tout autre micro-événement pouvant la prolonger ou l’écourter.

Au bout de quelques balades seulement, je suis entrée dans un monde social parallèle, dont je ne soupçonnais pas l’existence et auquel je n’avais jamais eu accès auparavant : celui des propriétaires de chiens, aussi appelés dog parents. La sociabilité entre humains à chiens, et entre chiens, que ces errances (à toutes heures de la journée, dans des périmètres variables) induisent est fascinante par bien des aspects. Cela peut prendre la forme de small talks à 7h30 du matin alors qu’on a enfilé à la va-vite un bas de pyjama et des Crocs ; ou des échanges de tips canins comme la meilleure adresse de toilettage à proximité de la N20. On finit par retenir le nom de tous les chiens du pâté de maison (et au-delà) sans jamais connaître celui des maîtres et maîtresses. On s’émeut de voir notre chien bien s’entendre avec Pepper le Kern du grand monsieur en doudoune kaki ; ou en écoutant le témoignage nostalgique de la mère adoptive de Pilou lorsqu’encore chiot, la petite créole “perdait ses dents de lait en machouillant un vieux t-shirt” offert par son humaine en guise de doudou. Le chien en milieu urbain, un vecteur pour observer autrement Les sorties canines ont plus précisément à voir avec les univers nicolas-novesques lorsque l’on prend en compte, d’une part, les faits et gestes du chien, et d’autre part, les détails de l’environnement urbain dans lequel il évolue au cours de ses flâneries. Avant même la publication de cet appel, je me suis naturellement retrouvée à suivre, presque systématiquement, toutes sortes de consignes présentes dans le livret écrit par Nicolas au cours de ces sorties quotidiennes. Sans doute parce que ses méthodos me sont connues et chères. Mais également parce que les curiosités amenées par cette nouvelle routine m’ont immédiatement frappées.

Observation des sols sous le prisme canin

Premier constat : c'est fou le nombre de choses qui se trouvent par terre en ville, et auxquelles on ne fait pas forcément attention. Je ne parle pas simplement des marquages, des mégots, des merdes de chien ou des herbes sauvages qui élisent domicile dans les fissures des pavés et des murs. Les trottoirs peuvent être analysés de bien des manières mais les chiens, eux, en font leur terrain d’observation acharné. À l’échelle canine, ces plateformes souillées de toutes parts forment un terrain d’étude rempli d’informations et de stimulis vitaux. Pendant une balade, ils sont amenés à observer, renifler, lécher, croquer, avaler, déplacer, laisser toutes sortes de traces. Ils interagissent avec des centaines de détails que nous ignorons la plupart du temps en tant que piétons. C’est ce qui me frappe à chaque excursion. Le microcosme des trottoirs, vivant et non-vivant, se révèle sous la truffe de la bête que je tiens en laisse.

Quand le presque-sauvage côtoie l’urbain, l’Anthropocène se manifeste

Bien que domestiqué à l’extrême, mon chien me rappelle quotidiennement qu’il est un animal, c’est-à-dire un être doté de pratiques instinctives jugées comme bestiales et sauvages. Il m’est donné de les observer chaque instant lors de ses sorties, lorsqu'il est confronté aux espaces et objets du monde humain. De la même manière que par le prisme canin, l’urbanité des espaces conçus par l’Homme irradie. Le contraste entre le chien et la ville est donc manifeste à chaque balade.

En tant qu'humaine souhaitant prendre soin de son chien, je me dois d’être attentive à tous ses faits et gestes dans l’espace public, veillant a son bon comportement vis-à-vis de l'environnement, contrôlant ce qu’il pourrait ingérer etc. Les balades incarnent des rencontres sensorielles complètes entre une bête et des formes urbaines variées (humains, mobiliers, véhicules, faune et flore adaptées à la vie citadine, pollutions diverses, déchets par milliers).

Liste non-exhaustive de comportements de mon chien pendant différentes promenades au sein de mon quartier d'habitation :

  • Prendre entre ses crocs tous les mouchoirs, compresses ou pansements usagés-abandonnés
  • Couiner à l’approche d’un congénère Sniffer tous les recoins de la chaussée, imbibés d’urine ou non
  • Mâchouiller un verre de terre inerte au square
  • Jouer avec le ruban plastique des poubelles publiques
  • Déplacer un morceau de tuile sur une butte herbeuse, et s’allonger pour croquer dedans comme si c’était un jouet ramené dans son panier
  • Secouer dans sa gueule un vêtement perdu
  • Frotter sa tête dans les restes d’un animal en décomposition
  • Grignoter une chips oubliée aux abords de la gare
  • Avoir des poussées d’énergies le menant à saucissonner du mobilier urbain avec la laisse
  • Se mettre sur les pattes arrières pour regarder le train passer au-dessus des voies
  • Glaner sur le bitume un grain de semoule cuit
  • Croquer une miette échappée d'un paquet de nouilles lyophilisées éventré devant l'épicerie de quartier
  • Manger de l'herbe ou d'autres végétaux, même le plus infime brin dépassant d’une fissure minérale
  • Lécher une éclaboussure de café se déversant dans gobelet cartonné au pied de la boulangerie
  • Grogner à l’encontre des travailleurs de la voirie
  • Vouloir enquêter sous l'ensemble des voitures garées dans le quartier résidentiel pour débusquer la martre du quartier
  • Manger des excréments frais S’exciter en apercevant un chat traverser
  • Déchiqueter des végétaux plantés par la commune dans un carré de terre dédié
  • Se percher sur un muret et regarder les passants
  • Courir après la faune urbaine comme les rats, pigeons, pies, corneilles
  • Goûter une matière inconnue ressemblant à de la craie écrasée
  • Se méfier des encombrants en tous genres
  • Avaler une frite échouée sur le goudron
  • Jouer avec différents morceaux de bois mort
  • Chercher à entrer dans tous les magasins, halls d’immeubles, parkings et autres cours privées
  • Avoir peur des poussettes, même à l’arrêt
  • Sniffer du lierre rampant dégoulinant d’urine
  • Marquer son territoire tous les mètres, et continuer de faire le geste (soulever la pâte arrière) même lorsque que la vessie est à sec
  • Aboyer sur une poubelle communale imposante
  • Vouloir traverser la rue en cavalant sans se soucier des voitures en marche

En somme, les sorties canines amènent à changer de point de vue (ce qui me paraissait idéal dans le cadre d’exercices d’observation), et à s’interroger sur la cohabitation des vivants, le façonnage des milieux urbains, l'artificialisation, l'hybridation, l’aménagement de l’espace public et bien d’autres thématiques.