picture TGV Avignon TGV / Paris Gare de Lyon paysage #NoFilter

Depuis quatre mois, je prends et reprends le chemin vers Amsterdam, empruntant divers itinéraires, compliqués et longs au départ d'Avignon, Marseille, Nîmes et Arles. Parfois, ce voyage s'impose dans l'urgence, sans joie ; parfois, la rêverie de me réveiller dans cette ville de la liberté surveillée me plaît.

Aujourd’hui encore, j’observe autour de moi des mains emprisonnées dans le geste de Dürer, agrippées à des écrans de tailles variées, allumés, parfois caressés, mais souvent négligés. Je suis à la place 114, côté couloir, avec une chaise vide à côté de moi : la 113.

C’est samedi, et le train de 15h41 pour Paris est presque complet. Paris reste LA capitale. L’hiver, le sud monte vers le nord. Je suis en première, wagon silence. Pas de rires. Pas même de sourires. J’entends la voix soumise et aguicheuse du barista, bien seul après la pause de midi. C’est bien l’hiver. Une pluie légère mais constante. Des ronflements.

Tout le monde est habillé sport-chic, avec peu de marques apparentes. Hommes et femmes, 50/50. Je reconnais mon inconfort face à cette condition nouvelle, où, dans un éclair, ils deviennent ces deux catégories de genre dont on dispose depuis le discours inaugural américain.

Langue dominante : le français. Pas de touristes en ce début de mois de février. C’est la version "old-school" du TGV, avec ses fauteuils rayés et sa moquette… un bordeaux en demi-teinte. Et là, je le vois. Comme à chaque fois, un autocollant sur la fenêtre à côté de moi, avec un pictogramme d’appareil photo très simplifié, entouré d’un cercle, accompagné des mots #NoFilter.

La typographie tuilée, c’est Achemine, une famille de polices créée en 2008 pour la signalétique de la SNCF. Selon Wikipédia, ces caractères sans empattement ont été mis au point par Bruno Bernard pour améliorer la lisibilité des panneaux dans le cadre de l’accessibilité des gares.

Je comprends la consigne du petit téléphone portable qui fait dodo. Je comprends que le WiFi s’invite à bord.

Mais pourquoi #NoFilter ? La fenêtre du train serait-elle une lucarne vers un monde plus honnête, plus sincère, sans artifice ? M’interdit-on d’utiliser un appareil photo, un iPhone avec un filtre ?

Je cherche dans mon téléphone s’il existe un règlement sur la photographie qui aurait soudainement pris une importance essentielle. Pas de chance.

Le paysage me donne des indices : Au départ, à 15h41, un ciel gris ternit les champs agricoles et les villages éparpillés. À 17h45, le soleil vif se couche sous des nuages à la géographie sévère.

Je suis captivé par cette perspective : 2h41 minutes jusqu’à la Gare de Lyon, interdit d’ajouter un filtre, encouragé à ouvrir mes yeux, mes oreilles et mon cœur, à m’engager sans filtre sur cette route vers une maison oubliée.