un habitat possible, ou un vortex
Jusqu’où ses racines poussent-elles sous le sol de chez nous ? Vont-elles jusqu’à mon lit ? Combien compte-t-il, sous son écorce, d’insectes, de champignons, de levures ? Pourquoi a-t-il une branche qui s’enroule autour d’une autre comme une mèche derrière l’oreille ? Combien de fois la voisine d’en face a-t-elle profité de notre absence en été pour lui couper sévèrement les branches ? Combien en a-t-il perdu spontanément, tombées comme de vieilles dents ? A-t-il pâti plus sévèrement de perdre la branche qui faisait un pont vers le toit, et permettait à mon chat d’y passer ? Combien de gens se sont-il cognés à son tronc pentu en cherchant à la contourner ? Venait-il d’un nid dans ses branches, le pigeonneau qui s’est un matin égaré à l’intérieur de chez nous ? Quelqu’un lui a-t-il un jour donné un nom ? A quel âge a-t-il produit sa première prune ? Combien a-t-il donné de prunes jusqu’à maintenant ? Ses prunes sont-elles bonnes, et sucrées ? Notre voisin Amor est-il mort un peu à cause d’elles, lui seul qui les mangeait, ou bien est-il mort de trop d’alcool, ou bien de trop de tristesse ? Ou bien de tout cela à la fois ? Sont-elles vraiment contaminées par ce sol parisien et industriel, où se trouvait avant une imprimerie ? A-t-il été planté ou bien a-t-il poussé tout seul comme un grand, à partir d’un noyau qu’aurait craché un des gars de l’imprimerie ? Existait-il seulement du temps de l’imprimerie ? Est-ce Amor qui aurait craché un premier noyau de prune a cet endroit, et aurait fait naitre l’arbre ? Amor était là bien avant nous, ce serait vraisemblable. Quel âge a-t-il ? Combien de soirées d’été a-t-il abrité sous ses branches ? S’il pouvait en parler, en serait-il un témoin fiable ? A-t-il vu des drames ? Quand va-t-il mourir (ça fait déjà 20 ans qu’on croit que c’est pour bientôt) Au fur et à mesure qu’il vieillit, qu’il perd ses branches latérales, se tord et se penche, il prend la forme d’une torche. Sa mort est-elle un lent incendie ? Verrais-je sa fin ?