Hommage à Nicolas Nova

Dimanche 9 février 8h12

Vlad me réveille en me tapotant sur le bras : Maman ! Maman ! regarde par la fenêtre ! Il neige à gros flocons et l’ensemble des sapins qui recouvrent le versant ouest du village sont recouverts d’un fin manteau de neige.

  • C’est beau ! dit-il en frémissant.

C’est fou comme à chaque fois c’est la même chose, dès qu’il neige, il se retrouve dans un état d’excitation incroyable.

  • Je vais sortir dehors !

Le voilà parti dans le couloir, à la recherche d’une paire de bottes et d’un manteau. Il veut voir la neige de plus près. Il veut pouvoir la toucher.

  • Attends !

Je lui demande un peu de patience.

  • Tu es toujours en pyjama, habille-toi !

Je le laisse s’agiter dans le couloir le temps de recouvrer mes esprits. Nous rentrons d’un long voyage d’un mois en Roumanie. J’ai toujours un peu de mal à savoir dans quel lit je me trouve quand j’ouvre les yeux. Je suis ici, à Saint-Julien-Molin-Molette, le village de France avec un nom à coucher dehors.

Sa sœur dort encore. Je revêts un gilet chaud. Il fait frais dans mon HLM. Je m’installe dans la cuisine le temps de faire bouillir de l’eau et préparer des tartines.

La petite sort de son lit les cheveux ébouriffés par sa nuit de rêves.
Elle fait de petits sauts de joie devant la fenêtre. Elle aussi veut sortir.

Nous mangeons nos tartines en silence, sans empressement. Dans ce silence de joie que nous apporte la neige. Le soleil est au rendez-vous, il fait scintiller les gros flocons épars sur l'herbe de la cour.

Après le déjeuner, j’arrive à convaincre les enfants de revêtir des bottes de neige, pas leurs bottes de pluie, sans quoi ils auraient trop froid.

Ils préfèrent toujours les bottes de pluies qui sont plus faciles à enfiler. Pourtant ils connaissent déjà la sensation de froid pour s’y être fait mordre en Roumanie.

En sortant, on dirait que nous en sommes les seuls habitants du village.

J’écoute attentivement la rivière en passant le petit pont. Elle est chargée d’eau. J'observe comme son lit a changé de morphologie depuis les dernières inondations. Elle était montée d’un mètre au moins, emportant la piscine du camping et son bar sur son passage.

Je la félicite silencieusement de s'être libérée, dans sa fureur, de toutes les berges en ciment qui avaient l’air de l’emprisonner.

En passant devant le camping, j’éprouve un menu frisson pensant au récent suicide de son propriétaire. Silence.

Les enfants foncent vers le stade, au milieu duquel ils tracent des lignes sur le sol. Je pense toujours à Ingold, à sa brève histoire des lignes lorsque je contemple les partitions de leurs pas dans la neige.

Soudain ils souhaitent grimper aux arbres. Je les laisse faire, recommandant encore une fois de ne pas casser les branches. La dernière fois ils en ont arraché un paquet.

Ils poussent des petits cris de chimpanzés.

Sans arrêter leur allure, ils veulent se rendre au parc de jeux qui se trouve un peu plus loin sur la rive. Ils ont peur de glisser sur la rampe de béton qui y mène. Ils me demandent de l'aide. Puis courent pour s’organiser des séries de jeux du tobogan aux balançoires.

Au bout d’un certain temps, ils remarquent que leurs pantalons sont mouillés. Il se plaignent alors du froid.

Ileana râle contre le fait que ses moufles prennent l’eau.

  • Qu’est-ce que je peux y faire ? Rien, si ce n’est lui promettre de les changer en arrivant à la maison.

Nous voilà repartis sur la « montée des fabriques ». Je vois bien comme ils ont grandi ces deux dernières années. Ils font la course. Je les observe en les suivant.

Leurs chemins se séparent au niveau du stade. L’une part sur le chemin de terre. L’autre poursuit sa route sur l’asphalte qui le ramènera à la maison. Nous croisons un couple de voisins avec leurs enfants qui jouent à se lancer des boules de neige.

Nous remontons tous les trois au premier. Les enfants s’installent dans le salon pour jouer avec une série de personnages qu’ils ont reçus pour Noël. Je m’installe dans la cuisine en écoutant la radio.

Je m’applique à préparer une tarte aux légumes, avec ses petits oignons, ses épinards et une pointe de tomate accompagnée d’un morceau de chèvre.

Ces temps derniers, j’observe mes gestes à la recherche d’un sens nouveau, celui du soin. Le soin comme équilibre relationnel entre les gestes que l’on fait pour soi, pour les autres et pour son environnement.

Avec cette nouvelle prise de conscience du fait que la valeur de ce geste de soin repose en l'attention qu'on y prête, je prends du plaisir à cuisiner comme jamais auparavant.

Mon plaisir manifeste un acte de résistance contre le temps qui passe. Il se cristallise tel un autre refuge contre le capitalisme qui nous fait croire que la valeur de la vie se compte en euros.